La force des récits conspirationnistes met en lumière un besoin fondamental de l’être humain: il nous faut de l’aide pour appréhender le monde, lui donner un sens. Nous ne pouvons pas nous orienter tout seuls. Nous avons besoin d’institutions qui nous guident dans la quête de compréhension en évitant les pièges intellectuels, et qui nous aident à maîtriser nos émotions collectives. Dans les sociétés modernes, c’est en priorité à la science, aux médias et à la gent politique qu’il revient de fournir une interprétation du monde, de débattre de ce qui est important et de trouver des compromis. Dans la sphère publique démocratique, les médias sont les passeurs essentiels: ils enquêtent, établissent des liens de causalité, sélectionnent, transmettent et diffusent le savoir (cf.
Neuberger, 2020 rapport en allemand).
Or, les médias sont en mauvaise posture. Comme dans la plupart des autres démocraties occidentales, la diversité et la qualité des médias suisses ont énormément baissé ces vingt dernières années. De nombreux journaux ont fermé boutique. Les recherches du site Republik sur la concentration des médias et le déclin du journalisme (
2021 et
2022)indiquent que de nombreuses rédactions ont fusionné, principalement au niveau local et régional, et que depuis 2017, un:e journaliste quitte la branche quasi chaque semaine. Parallèlement, le nombre d’articles dans la presse écrite a baissé entre 30 et 60% en dix ans depuis 2022, selon les recherches du site payant
Saldo (2022).
À l’ère numérique, les journalistes obéissent à d’autres injonctions. Les maisons d’édition voient les rentrées publicitaires croître en fonction du temps que lecteurs et lectrices passent sur un article et s’ils cliquent sur certains liens à fréquence élevée. Depuis 2021, la durée moyenne passée par un:e internaute sur une contribution est un critère de performance pour les rédacteurs et rédactrices de TX Group, comme l’a relevé le site
Republik berichtet. On récompense ainsi les journalistes ayant produit des textes qui touchent le plus possible le public au plan émotionnel.